Le chemin de la victoire (1920)
En 1920, Jean Routier
illustre la couverture de l'ouvrage de Louis Madelin , Le chemin
de la Victoire, publié en deux volumes chez Plon-Nourrit & Cie, dans
la collection « Bibliothèque Plon » dont ils constituent
les n° 22-23 selon le catalogue imprimé sur la page de garde.
- Tome 1 – De la
Marne à Verdun (1914-1916), 191 p. , cartes 1-8 h.-t.
- Tome 2 – De la
Somme au Rhin (1916-1918), 185 p., 6 cartes
h.-t.
Ces volumes, imprimés
sur papier acide, sont fragiles : papier cassant, couvertures et
cahiers se détachant. Cela explique que la BNF indique, dans son catalogue, ne pas communiquer l’original mais seulement un support microfiche.
Bibliothèque de l'auteur
Cette édition, sans date, est parfois mentionnée comme parue en 1921 (par exemple dans la biographie de Madelin sur le site de l’Académie Française). La date est bien 1920, comme l’indique la liste bibliographique contenue dans le dossier de la Légion d’honneur de Louis Madelin et comme le prouvent les annonces dans la presse : Le Figaro, Supplément littéraire du dimanche, 3 et 10 octobre 1920, ou encore La Lanterne du 12 septembre 1920 dont je reproduis l’extrait.
La Lanterne 12 septembre 1920
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
L'auteur
Louis Madelin
(Neufchâteau, 1871 – Paris, 1956), connu pour son œuvre
monumentale sur le Consulat et l’Empire, est un historien. Agrégé
d’histoire (1891), chartiste, membre de l’École française de
Rome (1895-1898), docteur es lettres (1901 ; biographie de
Fouché), chargé de cours à la Sorbonne (1904-1906 et 1908-1910) ce à quoi se bornera son enseignement à l'Université,
chargé de mission aux États-Unis par le ministère de l’Instruction
publique pour mener une enquête sur le Livre français (1907-1908). Chevalier de la Légion
d’honneur (5 juillet 2013), à titre civil.
Louis Madelin
Agence Meurisse - 1923
Mobilisé en août
1914, il sert comme sergent au 44e Régiment d’infanterie
en 1914-1915, puis comme sous-lieutenant et lieutenant à divers
états-majors, avant d'être attaché au GQG (Grand Quartier Général)
dans la section d’information [1].
R. Porte [2] précise
que Madelin est en outre « un chroniqueur régulier de
plusieurs grands quotidiens et périodiques parisiens dans les
colonnes desquels il défend les positions alors classiques de la
droite catholique. Ses ouvrages sur la Grande Guerre s’inscrivent
dans cette veine […] ». Cette production, abondante, est
précoce :
- 1916 : L’Aveu.
La bataille de Verdun et l’opinion allemande. Documents inédits.
Plon, 79 p. Cet ouvrage est signé « Sous-lieutenant
Louis Madelin »
- 1916 : La
victoire de la Marne. Plon, 131 p., 2 cartes [on trouve une 23e
édition en 1928]
- 1917 : La mêlée
des Flandres, l’Yser et Ypres. Plon
- 1919 : Les
heures merveilleuses d’Alsace et de Lorraine. Hachette, 248 p.,
couverture illustrée
- 1920 : La
bataille de France (21 mars-11 novembre 1918). Plon, 379 p., 15
cartes en noir et en couleurs. [Texte en ligne sur archive.org] ;
le texte avait déjà été publié en livraisons successives dans la
Revue des deux mondes entre le 15 août et le 15 novembre 1919 :
t. 52, p. 798-853 ; t. 53, p. 59-99, 270-310, 533-569, 785-828 ;
t. 54, p ; 64-108, 314-363 [Texte en ligne sur
Gallica]
- 1920 : Verdun.
F. Alcan, 156 p. , carte (coll. « La France dévastée »)
- 1920 : Le chemin
de la Victoire. Plon, 2 vol. [voir ci-dessus. Mais il existe aussi en
1920 une édition en un volume de 367 p. , sans illustration sur la
couverture.] [3]
- 1925 : Le
maréchal Foch. Paris : G. Crès, 104 p.
- 1929 : Foch.
Paris : Plon,
269 p.
- 1934 : Verdun.
Flammarion, 127 p., carte, pl. (coll. « Hier et Aujourd’hui)
[Texte de 1920, complété]
Après la guerre, Louis
Madelin est couronné d’honneurs : croix de guerre ;
titularisé à titre militaire comme chevalier de la Légion
d’honneur (décret du 10 janvier 1918), Académicien (1927) ;
promu au grade d’officier de la Légion d’honneur (1930, sur
proposition de l’Intérieur, comme ancien député), puis au grade
de commandeur (1956, sur proposition de l’Éducation nationale),
dont la réception en juin 1956 précède de peu son décès
(18 août 1956 ).
Il s'est essayé à la
politique comme député des Vosges, son département natal, de 1924
à 1928, sous l’étiquette Union républicaine et démocratique
(modéré), mais n’a pas été réélu.
Louis Madelin à son bureau
Agence Meurisse - 1923
Cette contribution à l’histoire de la Guerre 1914-1918, qui semble avoir été largement diffusée dans la décennie suivant 1918, n’est aujourd’hui guère retenue par les historiens et figure rarement dans les bibliographies. Œuvre lyrique, nationaliste, exaltant le caractère français, elle s’attache surtout à une vision stratégique, celle de l’État-Major et de ses chefs. Émile Henriot, dans son discours prononcé lors des funérailles, le 23 août 1956, en convient : « Avec
Louis Madelin, c’est toute une conception de l’histoire qui
disparaît ; (...) C’est surtout d’une façon de l’étudier et de la présenter qu’il semble bien avoir été le dernier praticien. » [4]. Elle avait rencontré assez
rapidement les critiques, par exemple celle de Jules Isaac pour
qui Henry Bordeaux et Louis Madelin produisent une « vérité pour
salons académiques et sacristies distinguées » [5]. Autre
pourfendeur de cette écriture de l’histoire, Jean-Norton
Cru qui oppose ceux qui n'ont vu la guerre qu'à travers un QG ou un bureau de l'arrière et ceux qui l'ont vécue : « Les
faits psychologiques corrigent encore bien des erreurs ; ils
démentent l’épopée, la gloire, l’enivrement de la victoire que
les histoires d’aujourd’hui veulent encore nous peindre. Comparez les récits historiques de Madelin et les
souvenirs des poilus sur les mêmes événements.
Le combattant qui gagnait du terrain dans la Somme avait une humeur
aussi noire que celui qui reculait à Verdun. » [6]
Pourtant, Louis Madelin a eu, par ses fonctions, accès à des sources qui lui auraient permis de donner d’autres points de vue. John Horne cite une série de rapports du Contrôle postal rédigés par le lieutenant Madelin, affecté à la IIe armée dans le secteur de Verdun. Il peut alors apprécier le vécu des soldats, le moral bas mais aussi la reconstruction du souvenir [7]. Mais ce n’était sans doute pas son objectif. On observera enfin que Madelin dédie son ouvrage à la mémoire de son frère et de trois neveux, tous tués ou disparus au cours du conflit. Il y perdit également un fils.
Me
voilà bien éloigné de Jean Routier et des ses illustrations. Je ne
dispose d’aucun élément pour savoir s’il avait une raison
particulière d'illustrer ces couvertures, par exemple un lien avec
l'auteur. En revanche, il a illustré plusieurs couvertures de cette
Bibliothèque Plon à 3 F dans les années 1920 : quatre sont signées ; je suis tenté de lui en attribuer deux autres. Je les présenterai ultérieurement.
Les couvertures
Ces deux images (8 x
7,5 cm) montrent en quelques traits l’évolution du conflit, de
l’armement et de l’habillement :
Couverture illustrée par Jean Routier (1920) - Bibliothèque de l'auteur |
- la première évoque
une charge de fantassins habillés de couleurs vives et munis d’un
fusil avec baïonnette, le Lebel (1886 modifié 1893). Les détails sont exacts : pantalon rouge garance, capote bleue, brodequin surmonté d'une jambière, havresac sur le dos ; le képi, rouge à la mobilisation, est confectionné dans du drap bleu à partir de septembre 1914. Seule originalité, le foulard noué par simple noeud plat, normalement bleu marine, mais ici à carreaux.
Couverture illustrée par Jean Routier (1920) - Bibliothèque de l'auteur |
- la seconde offre une
vision plus « moderne » de la guerre. Un mitrailleur et
son servant installés dans une tranchée ( ?), au milieu d'un paysage dévasté. Les couleurs
vives ont disparu et ont fait place au cours de l’année 1915 au fameux
« bleu horizon » d'un habillement plus discret, mais aussi plus résistant. Le crâne est désormais protégé par
un casque, dit casque Adrian, dont on devine le signe distinctif sur le devant : une grenade pour l'infanterie. La mitrailleuse est de marque Hotchkiss, modèle 1914 ; de calibre 8 mm, sur affût trépied et en position haute pour un tir assis, elle offrait une cadence de tir pratique de 400 c/mn.
Comparaisons
Jean
Routier devait avoir une ample documentation à sa disposition, les dessins et les photographies de la guerre étant innombrables. En
outre, l’univers de la guerre lui était familier après quatre
années et demi passées au front ou à l’arrière. Je compte
revenir à plusieurs reprises sur cette période de sa vie. Voici
à titre d’exemple quelques documents qui auraient pu servir de modèle et qui permettent
d’apprécier la manière de Jean Routier et l’efficacité de son
style, allant à l'essentiel.
La charge
Infanterie française en 1914
Agence Rol, n° 42358
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Le Petit Journal - supplément illustré n° 1273 - dimanche 16 mai 1915
Illustration de Louis Bombled (1862-1927)
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Couverture illustrée par Jean Routier (1920) - Bibliothèque de l'auteur |
Dessin de Louis Bombled (détail)
la mitrailleuse
Mitrailleuse en 1ère ligne au Bois-Brulé,
forêt d'Apremont (Meuse) en 1916 -
Agence Rol n° 47077
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
|
Couverture illustrée par Jean Routier (1920) - Bibliothèque de l'auteur |
Mitrailleuse Hotchkiss modèle 1914 (coll. Mémorial de Verdun)
http://commons.wikimedia.org/wiki/File:French_machine-gun_Hotchkiss_model_1914.JPG
Le réglage d'une mitrailleuse (1915) - Agence Meurisse n° 56708
Notes
[1] http://www.academie-francaise.fr/funerailles-de-louis-madelin-en-leglise-notre-dame-de-lassomption
[2] Cochet (François) et
Porte (Rémy) dir. Dictionnaire de la grande guerre. 1914-1918.
Paris : Laffont, 2008, p. 667-668 [notice de Rémy Porte] (coll.
Bouquins).
[3] Madelin donnait aussi
des cours à la Société des Conférences, 184 Bd Saint-Germain. Le
journal Le Gaulois relate la première leçon du cours intitulé "Le chemin de la Victoire" (22
janvier 1920), qui connut un gros succès.
[4] http://www.academie-francaise.fr/funerailles-de-louis-madelin-en-leglise-notre-dame-de-lassomption
[5] Cité par
http://www.crid1418.org/temoins/2012/07/15/isaac-jules-1877-1963/.
L'expression est tirée d'une lettre de Jules Isaac à son épouse en
date du 16 janvier 1917 (Jules Isaac, un historien dans la grande
guerre : Lettres et carnets, 1914-1917, introduction par André
Kaspi, présentation et notes par Marc Michel, Paris : Armand
Colin, 2004). Voir aussi son compte-rendu de l'ouvrage de Jean-Norton
Cru (De la valeur des témoignages de guerre. Revue Historique, t.
160, janvier-avril 1931, p. 93-100).
[6] Cru (Jean-Norton).
Témoins ; essai d'analyse et de critique des souvenirs des
combattants édités en français de 1915 à 1928. Préface et
post-face de Frédéric Rousseau. Nancy : Presses universitaires
de Nancy, 2006, 727 + 195 p. [p. 25]. Reprint de l'édition de
Paris : Les Étincelles, 1929. Ce passage (p. 25) figure également
dans Du témoignage, Paris, Gallimard, 1930, 116 p. + 154 p.
, partiellement réédité en 1967 dans la collection « Libertés »
de Jean-Jacques Pauvert.
[7] Horne (John). Entre
expérience et mémoire. Les soldats français de la Grande Guerre.
Annales. Histoire, Sciences sociales, 60 (5), 2005,
p. 903-919.
[http://www.cairn.info/revue-annales-2005-5.htm#summary]. On notera enfin que L. Madelin a rédigé la préface d'un journal d'un sous-lieutenant de réserve (Lefevre-Dibon Commandant Paul. Quatre pages du 3e bataillon du 74e R.I. Extrait d'un carnet de campagne 1914-1916. Berger-Levrault, 1921).
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