lundi 26 décembre 2022

Illustration d'un conte de Noël écrit par Gaston de Pawlowski (1922)

     Jean Routier a illustré des dizaines de textes (articles, récits, contes, feuilletons) dans les journaux et revues, notamment dans Automobilia / L'Automobile aux Armées. Il sera difficile de les publier tous dans le cadre de ce blog, mais on pourra s'essayer à une typologie des types et professions croqués par ce biais.

     Dans le numéro 135 d'Automobilia du 31 décembre 1922, Gaston de Pawlowski, alors co-directeur de cette revue bimensuelle, publie un conte de Noël intitulé L'automobiliste Léon, pour lequel Jean Routier fournit cinq dessins (p. 52-54) [1].

     Gaston de Pawlowski (1874-1933), docteur en droit, journaliste sportif passionné de vélo et d'automobile, puis critique dramatique au Journal de 1918 à 1933, était un écrivain prolixe et à l'imagination fertile. Rédacteur en chef de Comoedia de 1907 à 1914, de l'Automobile aux Armées au moins depuis novembre 1919, il rédigeait de nombreuses chroniques mais aussi des récits et des contes, textes souvent courts qu'il réunissait ensuite en volumes. Son livre le plus connu "Voyage au pays de la quatrième dimension" (1912) a été plusieurs fois réédité [2]

 Le conte  

Dans ce conte de Noël, G. de Pawlowski apparaît bien conforme au portrait qu'en dresse Eric Dussert : "un auteur délicieux, généreusement fantasque", "un délicat  humoriste du quotidien, habile aux observations douces et saugrenues." [2]. Il y raconte une nuit de Noël dans une gare régulatrice, après la victoire : le blocage de trains de démobilisés, les poilus vaseux, la nostalgie du colonel "chef de gare" et les frasques de la colonelle.


G. de Pawlowski- Automobilia, 135, 31 décembre 1922, p. 52-54 - Bibliothèque nationale de France -cl. de l'A.

 

 


Pawlowki joue sur les noms et sur les mots. Sans prétendre tout décoder, voici quelques clés favorisant la lecture :

- Gare régulatrice : pendant la guerre, organe réglant tous les mouvements de trains dans une zone donnée pour assurer le ravitaillement, l'approvisionnement en matériels, les évacuations sanitaires, etc. A sa tête un commissaire régulateur. Le nom de "Remply-les-Pots" est évidemment fantaisiste. On pourra se rendre compte de l'importance vitale de ces gares à travers l'exemple de celle de Calais, créée de toutes pièces à Calais au cours de la première guerre mondiale [3].

- La troisième classe : les soldats voyageaient en troisième classe dans de mauvaises conditions comme l'explique l'historienne Emmanuelle Cronier, dans un article du journal Le Monde : voyages lents dans des trains bondés, mal éclairés, mal chauffés, sans toilettes, alors que les officiers bénéficiaient de la première classe [4].

 - Édouard Detaille (1848-1912), peintre et illustrateur, spécialiste de scènes militaires. Son tableau le plus connu, Le Rêve (conservé au Musée d'Orsay [5]) , daté de 1888, représente des conscrits endormis rêvant des actions glorieuses de leurs aînés. Dans le conte de Noël, ce n'est pas de la Revanche dont rêvent les poilus, mais de Buvette et de Tabac.

- R.A.T. : Régiment d'Artillerie de Tranchée ou Régiment d'Artillerie Territorial. 

- Un vieux territorial : de 34 à 45 ans, les hommes sont affectés à l'armée territoriale et à sa réserve (40 à 45 ans puis 46 à 49). Contrairement à l'armée active qui monte en première ligne, la territoriale devait se consacrer à des travaux annexes. Mais au fil des mois, la distinction s'estompe et certains régiments territoriaux montent au front, parfois en première ligne. Un vieux territorial, c'est presque une redondance. Les territoriaux étaient aussi surnommés "les pépères".

- Venus hottentote : allusion à Saartjie Baartman, femme noire du peuple Khoïsan (Afrique du Sud) réduite en esclavage et exhibée en Angleterre et en France entre 1810 et 1818 en raison de sa morphologie (des protubérances fessières).

- Colonel Saint-Fiacre de Rocade : sans doute un nom fantaisiste.

- Les belles affiches périmées d'Hugo d'Allez-y : Hugo d'Alesi (1849-1906) peintre d'origine roumaine, auteur d'affiches touristiques pour les compagnies de chemin de fer. Ostende est une station balnéaire belge ; les grottes de Han (et non Ham ; confusion avec le nom du fort ou château de Ham dans le département de la Somme ?) sont un vaste réseau souterrain situé en Wallonie. Je n'ai pas trouvé les éventuelles affiches correspondantes.

- Ordonnance : Pawlowski joue sur deux sens du mot ordonnance : prescription médicale écrite ; soldat attaché au service d'un officier.

- Noël et Léon : ces deux mots se lisent dans les deux sens, mais avec une signification différente. Ce sont des anacycliques.

- Il est cocu, le chef de gare... : on lit sur différents sites que ce  refrain serait un détournement par les soldats de 1914-1918 d'une chanson intitulée "Il est content le chef de gare", chantée par Eugène Gabriel Mansuelle (1873-1938), artiste de café-concert, en 1912 sur l'air de "Il était un petit navire". C'est ce que laisse aussi entendre un article très documenté d'E. Cronier [6]. Mais la partition de 1910, reproduite ci-dessous,  comporte déjà les deux variantes con-tent/co-cu [7]. Les paroles sont de Adolphe Crozière (1873-1946, homme de lettres) et de Maader (1853-1930, parolier). Un enregistrement du 29/7/1911 par Mr Elwel (pseudonyme de Eugène Sylvain Besson, 1880-1944) utilise la version co-cu [8]. Il n'y a donc pas de détournement mais utilisation d'un texte existant.


Les dessins de Jean Routier

 

Jean Routier- Automobilia, 135, 31 décembre 1922, p. 52-54 - Bibliothèque nationale de France -cl. de l'A.





 

Annexe

 

Source : Gallica - Bibliothèque nationale de France


Notes

[1] Les rapports entre Gaston de Pawlowski et Jean Routier méritent un billet détaillé. G. de Pawlowski participe à l'aventure de L'Automobile aux Armées / Automobilia, dès le premier numéro (février 1917) mais sans que l'on connaisse précisément son statut au sein de la revue, faute d'ours. Il apparaît comme Rédacteur en chef dans le n° du 15 novembre 1919, puis comme co-directeur en 1920. Curieusement, cette revue n'est pas mentionnée dans les nécrologies et biographies de Pawlowski que j'ai consultées.

[2] Sur Gaston de Pawlowski, outre quelques nécrologies de 1933, j'ai consulté :
- la postface de  François Caradec à une réédition de Les dernières inventions de M. de Pawlowski, Paris, Balland, 1973, 135 pages [p. 123-129].
- une notice publiée par Fabrice Lefaix sous le titre Cher Gaston dans son blog "Au temps de l'Oeil Cacodylate", en date du mars 2007 : http://dadaparis.blogspot.com/2007/03/cher-gaston.html
-  le portrait écrit par Eric Dussert, Une forêt cachée. 156 portraits d'écrivains oubliés. Paris : La Table Ronde, 2013, p. 246-248.
 
[3] http://histopale.net/les-communes/le-chemin-de-fer-1/la-guerre-14-a-calais/ 
Un numéro spécial de la Revue d'histoire des chemins de fer (50-51, 2018) est consacrée à Gares en guerre, 1914-1918 : https://journals.openedition.org/rhcf/2554
 
[4] https://www.lemonde.fr/centenaire-14-18/article/2014/09/04/les-gares-pendant-la-grande-guerre-un-repere-pour-le-soldat_4482423_3448834.html
Emmanuelle Cronier est l'auteur du livre "Les Permissionnaires dans la Grande Guerre" (Belin, 2013, 349 p.), issu de sa thèse de doctorat.

[5] https://www.musee-orsay.fr/fr/oeuvres/le-reve-9171

[6] Beaucoup de détails (notamment tirés des "journaux de tranchées" dont des extraits sont cités) dans un article d'Emmanuelle Cronier, “Les permissionnaires du front face aux cheminots pendant la Première Guerre mondiale”Revue d’histoire des chemins de fer [Online], 36-37 | 2007, Online since 10 May 2011, connection on 26 December 2022. URL: http://journals.openedition.org/rhcf/101; DOI: https://doi.org/10.4000/rhcf.101

[7] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11686708/f3.item

[8] https://www.discogs.com/fr/artist/6908842-Mr-Elwel


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