dimanche 27 décembre 2020

 Garder la ligne

 

 Un accroc au régime

     Parmi les histoires sans paroles publiées dans les Annales politiques et littéraires, cette bande en quatre images convient pour illustrer les fêtes de fin d'année. 

 

Jean Routier - Les Annales politiques et littéraires, 2092, 1923-07-29, p. 122. Coll. part.

      L'histoire de cette dame à tête d'oiseau qui succombe en passant devant la vitrine d'une pâtisserie a été l'occasion de rechercher d'autres productions de Jean Routier mettant en scène le souci du corps, voire l'obsession de la ligne. J'en ai trouvé trois s'échelonnant entre 1921 et 1925. 

 

Scènes bourgeoises et commentaire de l'actualité


Jean Routier -Le Journal,  1921-04-18 -gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
 

 

Jean Routier -Le Journal,  1922-06-20 -gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

Jean Routier -Le Journal,  1925-12-17 -gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

      Ces trois dessins parus en première page du Journal, presque centenaires, ont perdu toute force comique pour le lecteur de 2020. Regard graphique et, de ce fait, éphémère sur l'actualité, le dessin de presse ne trouve son sens que relié aux événements qui l'ont provoqué. Petit tour d'horizon des contextes.

- Le premier dessin, intitulé "Tout baisse", joue sur les mots "diminution" et "barème". En avril 1921, dans un contexte de hausse des prix des produits de première nécessité, André Paisant, sous-secrétaire d’État au ravitaillement dans le ministère Briand, a pour tâche de ramener à un taux plus raisonnable le prix des denrées alimentaires. Il met en place un barème pour les bouchers et les restaurateurs, mal accepté par les détaillants. Certains doutent de son efficacité et par conséquent de la baisse des prix. Les journaux publient quotidiennement des informations sur ce thème qui donne naturellement lieu à de nombreuses plaisanteries et à des dessins. Face à son épouse qui dit avoir diminué de taille, le mari, amusé, demande quel est le barème appliqué.

 - Le deuxième fait allusion à l'affaire du "cadavre dans la malle" qui a passionné l'opinion entre 1920 et 1922. Le procès de Madame Bassarabo, accusée d'avoir assassiné son mari et de l'avoir transporté dans une malle, s'ouvre le 6 juin 1922 [1]. La légende du dessin de Routier est un clin d’œil à l'actualité. 

- Le troisième se situe à un moment délicat du Cartel des gauches (1924-1928) confronté à des difficultés financières et monétaires. L'émission de billets, remède à la crise de trésorerie, est source d''inflation.  Le ministre "inflationniste à regret" évoqué par Routier est Louis Loucheur, ministre des finances d'un ministère Briand, qui voulait sortir de l'inflation en finançant les dépenses par des impôts nouveaux, et se heurta à la Commission des finances de la Chambre ; il démissionna le 16 décembre 1925 et fut remplacé par Paul Doumer.

En règle générale, les dessins du Journal sont assez modérés, observant le plus souvent avec bonhomie les travers de la société [2]. Les dessins de Jean Routier, tout à fait dans le ton du journal, manifestent toutefois son goût pour le commentaire politique ; il l'exercera, de manière plus incisive, quand il sera en charge de la couverture hebdomadaire du Cri de Paris, entre fin 1931 et 1939.

Annexe

Les difficultés de Louis Loucheur, vues par Henri-Paul Gassier.
 
H.-P. Gassier -Le Journal,  1925-12-7 -gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 Au centre, Louis Loucheur tenant le portefeuille des finances, défendu par A. Briand, Président du Conseil.

Notes

[1] Voir un résumé de l'affaire dans Le Journal du 7 juin 1922, sous la signature de Geo London, chroniqueur judiciaire : Les procès sensationnels. Mme Bassarabo va répondre aux assises du mystérieux assassinat de son mari. 

[2] Relevé des dessinateurs ayant travaillé pour Le Journal pendant les mois considérés (avril 1921 ; juin 1922 ; décembre 1925) : Avelot, Capy, Faivre, Falké, Gassier, Genty, Guillaume, Hémard, Kern, Métivet, Nob, Pavis, Poulbot, Roubille, Roussau, Sem, Willette.

mardi 24 novembre 2020

Histoires de trains : le 8 h 45 et le 5 h 17

 

     Le n° 2094 des Annales politiques et littéraires, daté du 12 août 1923, publie une histoire sans paroles, intitulée : 8 h. 45, Paris direct (scène de la vie de banlieue).

     En onze dessins répartis sur trois lignes, Jean Routier relate trois quarts d'heure de la vie d'un homme entre son réveil (8 h) et son départ en train pour Paris (8 h 45). La légende se limite à l'indication de l'heure sous chaque dessin. 

Jean Routier - Les Annales politiques et littéraires, 2094, 1923-08-12, p. 185. Coll. part.
  

     Une grande économie de moyens pour décrire le réveil, aux côtés d'une épouse endormie ou encore suggérer l’accélération soudaine du personnage qui craint de rater son train.




 

 L'influence de Caran d'Ache

     Cette petite bande dessinée peut être rapprochée d'une autre histoire de train, dessinée par Caran d'Ache : M. Toutbeau prend l'express de 5 h. 17 m. C'est une séquence beaucoup plus longue, qui contient 38 vignettes et occupe 6 pages. Elle figure dans le volume 5 de la collection Jaquet avec comme provenance indiquée La Revue Illustrée [1]. De fait, on l'y retrouve dans le tome 6, juin-décembre 1888, p. 422-427. 


Collection Jaquet, volume 5
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France








Une différence d'intention

     On ne s'étonnera pas que Caran d'Ache ait pu inspirer Routier. J'ai déjà abordé ce sujet dans un billet du 14 novembre 2015 (Hommage à Caran d'Ache) et j'aurai l'occasion d'y revenir avec d'autres exemples. Toutefois, au-delà de l'anecdote du monsieur qui risque de rater son train, l'intention des deux dessins est différente. Alors que Caran d'Ache dresse le portrait d'un individu précis - M. Toutbeau - aux prises avec l'inertie des choses (les chaussures, l'eau froide, la cravate, les boutons), et son propre désordre (son portefeuille, sa monnaie, son parapluie), et prend plaisir à en détailler la maladresse, Routier nous montre un anonyme maîtrisant assez bien son temps (il déjeune et il achète son journal), même s'il doit courir, et qui, en fin de séquence, rejoint la masse de ses semblables sur le quai de la gare. Voyez la chute : alors que M. Toutbeau se retrouve seul et satisfait dans son compartiment, ce sont trois banlieusards qui lisent leur journal dans le 8 h. 45, comme d'habitude. Le thème de Routier est donc moins la course contre la montre que la répétition d'un comportement quotidien et collectif.  

 

 

 Annexe 

      Comme souvent, ce dessin a connu plusieurs éditions. J'ai rencontré sur un site de vente les six pages du 5 h 17 numérotées de la p. 39 à la p. 43, avec le titre courant en haut de page. La seule indication donnée par le vendeur était :  dessin de presse provenant d'un magazine d'époque, dimensions 24x32cm, 1899. A rechercher donc ! Pour contribuer à la bibliographie de Caran d'Ache, voici trois autres supports repérés :

- L'Almanach de Noël des Annales politiques et littéraires pour 1890 [non consulté]. Le sommaire, annoncé par différents journaux (par ex. Le Temps du 25 novembre 1889), mentionne "Monsieur Toutbeau prend le train de 5 h 17, histoire comique en 38 chapitres". Cet almanach, prime gratuite adressée aux nouveaux abonnés à l'édition illustrée des Annales, n'est pas répandu.

 - La Revue illustrée réutilise le dessin de Caran d'Ache en 1899-1900, mais en le morcelant et en répartissant les cases  dans les publicités de fin de volume, sous un titre légèrement différent (M. Toutbeau prend le train [au lieu de l'express] de 5 h 15 [au lieu de 5 h 17]). La nomenclature des numéros de cette revue et, pour les volumes conservées à la BnF et accessibles dans Gallica, le regroupement des numéros mensuels dans les reliures de fin de semestre  ne facilitent pas la recherche. Les cases 1-9 sont publiées dans le n° du 1er décembre 1899 ; les cases 10-13 dans celui du 15 décembre 1899 ; les cases 14-15 dans celui du 1er janvier 1900. Je n'ai pas trouvé trace des cases suivantes malgré la mention "la suite au prochain numéro". C'est peut-être cet émiettement qui a justifié l'ajout de légendes là où, dans le dessin originel, il n'y avait que des points de suspension. Voici l'exemple des cases 11 et 12 :

Revue illustrée, 15-12-1889 [reliée avec n° 12 du 01-01-1900]
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
 

- Une version anglaise est donnée par The Picture Magazine, 1, janvier-juin 1893, p. 16-17. Ce supplément de The Strand Magazine n'est pas accessible en ligne, mais les pages apparaissent sur deux sites riches en illustrations, sans toutefois des références détaillées [2]. Cette adaptation, condensée en 12 images sur 2 pages (cases 2, 3, 6, 11, 16, 17, 20, 21, 34, 35, 37, 38), est moins efficace et n'a pas la saveur de la version française : on y perd le déroulé de la toilette, ou encore la scène du paiement de la note et de la sollicitation muette d'un pourboire. L'express est celui de 5 h 15 [3].


The Picture Magazine [1893] - Source : The Visual Telling of Stories, site de Chris Mullen


Notes

[1] https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb437422526 [p. 44-48, p. 165]

[2]  Chris Mullen's website : http://fulltable.dyndns.org/VTS/p/pictm/seq/a.htm [fournit le titre de la revue mais pas la date]. Voir aussi le site "Andy's early comics archive"  https://konkykru.com/e.carandache.html [ne fournit pas le titre de la revue, mais date le dessin d'avant 1893].

[3] Il y aurait une recherche à faire sur la circulation des dessins de presse en Europe (délais, adaptation, coût).



dimanche 20 septembre 2020

 Le Tour de France

     Le cyclisme est assez peu présent dans la production de Jean Routier. Raison de plus d'en faire une petite revue en images, à l'occasion de la  107e édition - décalée - du Tour de France.

1 Mémoires d'une bicyclette (1923-1924)

     Le premier document est la couverture d'un roman du Dr Henry Aurenche, Mémoires d'une bicyclette, consacré à son ami d'enfance, Émile Friol (1881-1916), premier grand sprinter français et champion de France de vitesse [1]. Il est édité, en 1924, dans la collection "Le Roman de sport" lancé par la librairie Ollendorff en juin 1923. 


Roman de Sport n° 8 - couverture de Jean Routier - origine non référencée


 
 

ex. de la Bibliothèque E.N. de Saint-Brieuc [auj. ESPE de Bretagne à Quimper], relié sans sa couverture illustrée


 
 
Henry Aurenche (Privas, 1879-Paris 1971), médecin sportif et romancier, fut chef du service médical de L'Auto et médecin chef du vélodrome du Parc des Princes [2]. Il participa au concours de romans sportifs organisé par le journal L'Auto en 1923. Suivant l'usage, les textes envoyés n'étaient pas signés, le nom de l'auteur étant contenu dans une enveloppe fermée. Le gagnant fut un certain Vivarais.



L'Auto, 5 juin 1923 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Le texte parut en feuilleton du  1er au 28 août 1923, sous ce nom d'auteur "Vivarais" avant d'être édité en 1924 selon l'annonce faite par L'Auto (13 août 1924) et confirmé par le catalogue de la BnF (184 p.), cette fois sous le véritable nom de l'auteur. Succès éditorial ? Ils s'enlevaient comme des petits pains chez les libraires des plages, prétend L'Auto du 21 septembre 1924. Le Conseil général de la Seine vota l'acquisition de 25 exemplaires (L'Auto et Paris-Soir du 7 décembre 1924).


2 Le Tour de souffrance (1925)

     
Le célèbre récit de André Reuze (1885-1949), Le Tour de souffrance, est d'abord publié comme roman inédit, dans le journal Candide, entre le 19 mars et le 2 juillet 1925, puis ensuite, comme  souvent, en livre [3] par les éditions Fayard (1925, 253 p.). Le journal en donne d'ailleurs la photo de couverture en même temps que le dernier épisode du feuilleton.
 
 

Candide, 2 juillet 1925 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Couverture illustrée par Jean Routier - cl. courtoisie de J.-P. de Mondenard [3]
 
 
 
 La dédicace est assez savoureuse : "A mes amis les coureurs du Tour de France [suit une liste de 20 noms de coureurs] / A tous les autres / Hommes-sandwiches des maisons de cycles / Héros inutiles / Héros quand même / ce roman conçu et bâti dans leur sillage de poussière / en témoignage de sympathie, d'admiration et de pitié."
 

 3 Publicité Dunlop (1923)



 
Automobilia, 139, 28 février 1923, p. 43 - Bibliothèque nationale de France - cl. de l'A.


Automobilia, 234, 15 février 1927, p. 28 - Bibliothèque nationale de France - cl. de l'A.

A la différence du dessin précédent, celui-ci n'est pas une publicité pour Dunlop, mais un bandeau qui accompagne ici une information sur le "Premier Pas Dunlop", épreuve cycliste, mais qui peut aussi animer des pages de différentes natures, par exemple la chronique judiciaire en mars 1926 (Automobilia, 213, 31 mars 1926, p. 41).

 

 4 Contes de mon père le Jars (1944)

     Bien qu'il mentionne une course cycliste plus modeste que le Tour de France et songeant que Jean Routier dessinait aussi pour les enfants, je retiens deux illustrations extraites d'un des contes de Léonce Bourliaguet : "Saint Vélo", dans la bibliothèque rose illustrée (Paris : Hachette, 1944, 252 p.).

 

L. Bourliaguet, Contes de mon père le Jars, Hachette, ed. de 1945, p. 48
(dessin de Jean Routier) - Bibliothèque de l'A.



L. Bourliaguet, Contes de mon père le Jars, Hachette, ed. de 1945, p. 51
(dessin de Jean Routier) - Bibliothèque de l'A.



5 Excursion

     Pour clore ce billet consacré au vélo sportif [4], une photo datée et localisée de Jean Routier, en cycliste : le 13 juillet 1941, en Sologne, du côté de Chaon (Loir-et-Cher), entre La Motte-Beuvron et Cerdon. Il est âgé de 57 ans.

 

1941-07-13 - Jean Routier - coll. SZR - reprod. de l'A.


Notes

 
[1]- Voir "Un coup de chapeau à Émile Friol", notice bien documentée et illustrée à l'adresse suivante :  
 https://www.lepetitbraquet.fr/chron72_friol-emile.html
[2]- Sur Henry Aurenche, j'ai consulté : https://peoplepill.com/people/henry-aurenche/
[3]- L'image de cette couverture m'a été aimablement procurée par le Dr Jean-Pierre de Mondenard, auteur d'un blog sur le dopage :  https://dopagedemondenard.com/
Qu'il en soit vivement remercié. Je signale un reportage réaliste du même André Reuze "Les martyrs des Pyrénées" qui mentionne à deux reprises l'utilisation de drogues, dans Candide du 10 juillet 1924 (en ligne sur Gallica). 
[4]- Restent à recenser précisément les bancs-titres  fournis à la Société Éclair-Journal pour les actualités diffusées dans les cinémas. Quelques-uns illustrent des étapes du Tour de France des années 1930.
 

lundi 17 août 2020

Jean Routier catalogué



      Lorsqu'on s'occupe d'un dessinateur, la question du sort qui lui est réservé post mortem se pose assez rapidement. Alors que le dessin de presse est, par nature, éphémère et destiné à l'oubli, il est intéressant de  rechercher ceux qui ont retenu l'attention des bibliothécaires et des chercheurs pour illustrer leur propos et qui ont donc été susceptibles de capter l'attention du lecteur contemporain.


      Je présente six dessins qui relèvent de deux types  :

 - certains jouent un simple rôle d'illustration dans l'évocation d'un personnage ou d'une anecdote et dont on pourrait donc se passer sans difficulté ;

- d'autres, ayant trait à  un événement ou à un fait de société, apparaissent comme le reflet d'une époque voire d'une vision politique portée par un journal ou un milieu social. Ils accèdent alors au statut de source historique et bénéficient d'une survie inattendue.

 

1- Un personnage : Voronoff 




   
 















     La biographie du docteur Serge Voronoff (1866-1951), due à Jean Réal, utilise un dessin de Jean Routier dont je n'ai pu déterminer exactement l'origine. Voronoff était un chirurgien, célèbre pour ses
expérimentation de greffes de testicules de chimpanzé sur l'homme, censées lutter contre la décrépitude [1].
Sur le dessin, un chauffeur de taxi brandit un journal portant en titre " Voronoff rajeunit les vieillards". La légende montre qu'il s'agit d'une publicité pour le carburateur Solex qui, lui, rajeunit les vieilles voitures.
                                                   ,   


Jean Routier, publicité Solex
 (reproduite dans l'ouvrage de  Jean Réal et dans l'article de Nicolas Guirimand [1]).


    Cet argumentaire s'explique assez bien. Dans les années 1920, Voronoff est suffisamment connu du public au point de devenir une des cibles des dessins satiriques (par ex., Le Canard enchaîné). Par ailleurs, Jean Routier - issu d'une famille de médecins : un père chirurgien à Paris, spécialiste de l'appendicite, un frère cardiologue et un grand-père médecin du roi Louis-Philippe - était  vraisemblablement bien informé des débats au sein du monde médical sur la validité des résultats. Quelle date assigner à ce dessin ? La première greffe de testicules de singe date de juin 1920, d'autres suivent dans les années suivantes. Pour sa part, Routier réalise plusieurs campagnes de publicité pour les carburateurs Solex : 1921-1924 ; 1927 ; 1937. A titre d'hypothèse, je propose de situer cette publicité dans les années 1921-23, dans un support tel qu'un programme de théâtre, par exemple le Théâtre de Paris.

     Un indice encore : en 1922, la marque Fit, spécialiste du recaoutchoutage, utilise aussi l'argument du rajeunissement en se qualifiant  de "Docteur Voronoff des pneus".



Le Journal, 14 octobre 1922. gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France




2- Une revue : L'Automobile aux Armées

 








 La Revue Historique des Armées a consacré son n° 288, 2017, à l'année 1917. Un article de Nathalie Denou présente la revue L'Automobile aux Armées, animée par Gaston de Pawlowski, et en souligne l'importance pour l'histoire du service automobile.



      Deux dessins de Routier - malencontreusement prénommé Paul dans cet article - sont reproduits à titre d'exemples. L'un extrait du n° 1 (février 1917) figure un tank ; le second est un bandeau, utilisé à plusieurs reprises dans la revue en 1917 (n° 3 p. 20 ; n° 4 p. 14 ; n° 5 p. 21 ; n° 8 p. 4) pour annoncer un concours.


Revue Historique des Armées, 288, 2017, p. 134

Voici les dessins en meilleure définition :



Jean Routier - L'Automobile aux armées, n° 1, 1917-02, p. 51 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France




Jean Routier - L'Automobile aux armées, n° 1, 1917-03, p. 20 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France



3- Un évènement : le traité de Versailles (1919)

 

 

 Un ouvrage anglo-saxon consacré à la guerre 1914-1918 vue par les dessinateurs de presse utilise le dessin de Jean Routier paru dans Le Journal du 16 mai 1919 - Marianne et Germania - (voir mon billet du 31 octobre 2019) pour illustrer le traité de Versailles [2].



 

 

4- Un fait de société : les congés payés (1936)


Couverture




    


    






     Un ouvrage universitaire collectif consacré à la satire dans la presse des années 1930 ouvre sa quatrième partie (La satire fait peau neuve) par un dessin de Routier en pleine page ; il est repris dans un article de Marie-Astrid Charlier, maître de conférences à l'Université Paul Valéry, Montpellier, relatif au Canard enchaîné [3].

 


 

Coups de griffe, prises de bec, 2018

Coups de griffe, prises de bec, 2018, p. 141



      Il s'agit d'un dessin paru en couverture du Cri de Paris du 21 août 1936 dont je donne une reproduction plus lisible ci-dessous. L'été 1936 demeure dans les souvenirs comme celui des congés payés institués par la loi du 11 juin 1936 : deux semaines annuelles pour tous les salariés. Aujourd'hui, chaque rappel de cette mesure est illustré par des photos joyeuses de randonnées et de bains de mer. Ici, rien de tel. Cette image en donne une vision morose. Quelles en sont les raisons ?
  • Météorologiquement parlant, l'été 1936 ne fut pas fameux : un mois de juillet très pluvieux (un des plus pluvieux jamais enregistrés à Paris), les premières semaines d'août froides.
  •  Économiquement, la création de l'Office national du blé, destiné à revaloriser les produits agricoles et à "reconstituer la capacité d'achat des masses paysanne" entraînait mécaniquement une hausse du prix de pain (il passe de 1,60 F le kg à 1,70 F le 22 juillet ; 1,80 F le 8 août ; 1,90 F le 25 août ; 2,15 F le 7 septembre ; soit une augmentation de 34 %). Cette crainte portée par la mère de famille dans la légende du dessin s'ajoute à celle du chômage et de l'augmentation des prix à la consommation.
  • Enfin, Le Cri de Paris est un organe satirique, naturellement caustique avec le pouvoir en place d'autant qu'il n'a guère d'affinités avec le Front Populaire. J'aurai sans aucun doute l'occasion de revenir sur cette période.



Le Cri de Paris n° 2056, vendredi 21 aout 1936. source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)





5- Des opinions : la guerre d'Espagne (1936)





    










     
     En 1978, la Bibliothèque nationale célébra par une exposition le   trentième anniversaire de la mort de Georges Bernanos et l'entrée dans ses collections d'un fonds important de manuscrits, correspondances et papiers personnels de l'écrivain [4].    
    
     Deux dessins de Routier présentés lors de cette manifestation firent l'objet d'une notice, non illustrée, dans le catalogue. J'ajoute donc ici ces dessins à la suite de la reproduction de la notice du catalogue.





Le Cri de Paris n° 2040, vendredi 1er mai 1936. source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)


     La première couverture, datée du 1er mai 1936, s'adresse à l'électorat français à la veille du second tour des législatives. Il montre un électeur français, terrifié, au moment de glisser son bulletin dans l'urne, par la vision de la situation espagnole : église incendiée, cadavres en nombre ; pendaison d'un bourgeois ; fuite des femmes et des enfants. 

     Rappelons le contexte. L'Espagne est en crise. Les années suivant la chute de la monarchie (avril 1931) sont marquées par une agitation sociale parfois violente  et une instabilité gouvernementale. Tout est en débat : la constitution, la laïcisation de l'école, la place de l'armée, le statut des régions, la réforme agraire... Cela signifie la remise en cause de trois pouvoirs : l’Église, l'armée, l'aristocratie terrienne. A une phase réformatrice (1931-33) succède une période de réaction (1934-36) qui provoque des mouvements révolutionnaires. La victoire, aux élections du 16 février 1936, du Frente Popular, alliance des partis et des forces de gauche, suscite des actions directes (assauts contre des églises et couvents, grèves insurrectionnelles, occupations de terre). Il est difficile de préciser l'ampleur et la fréquence de ces "troubles" qui précèdent la guerre civile [5].

     Une partie de la presse française en dresse un tableau effroyable à l'occasion de la campagne électorale qui, en avril et mai 1936, oppose les forces politiques traditionnelles de droite et un Front Populaire allant des radicaux aux communistes. L’Écho de Paris [6], Le Figaro [7], Gringoire [8]  érigent le cas espagnol en épouvantail tandis que le journal radical L'Oeuvre rejette la responsabilité des troubles sur le fascisme. Je n'ai pas eu le loisir de dépouiller en détail Le Cri de Paris - dont la mise en ligne se fait attendre -  mais sa position ne doit pas être très éloignée de celle du quotidien Le Journal qui, dans son édition du 22 avril, titre : "Les gestes destructeurs du Front Populaire en Espagne doivent inspirer l'électeur français qui mettra son bulletin dans l'urne". Le dessin de Routier en semble directement inspiré. Après un premier tour indécis, le 26 avril, - 174 élus face à 424 ballotages - , qui a vu une nette percée du parti communiste, il s'agit d'éviter le "péril rouge". Le titre du dessin (L'Espagne sous le "front communiste" au lieu de "populaire") est bien révélateur de cette crainte d'une partie de l'opinion. On relèvera aussi que l'électeur représenté est vêtu comme un bourgeois.

     Un autre dessin de Jean Routier, consacré à l'Espagne, utilise le même "décor". Il s'agit d'un des nombreux bancs-titres qu'il a fournis à la Société Éclair-Journal pour les actualités diffusées dans les cinémas. Non daté mais légendé au dos "Barcelone sous les gouvernementaux", il annonçait sans doute la relation en images des journées de mai 1937 qui virent s’affronter violemment anarchistes et communistes libertaires partisans de la révolution sociale d'une part, forces gouvernementales républicaines et communistes d'autre part. La presse s'en fait l'écho : "Frères ennemis, anarchistes et marxistes se mitraillent dans les rues de Barcelone" (Le Journal, 5 mai 1937). 


Jean Routier - Barcelone sous les gouvernementaux. Banc-titre. Coll. SZR

     La seconde couverture, sélectionnée dans le catalogue Bernanos, datée du 28 août 1936, concerne les répercussions de la guerre d'Espagne dans les relations internationales alors que la France est dirigée par un gouvernement du Front Populaire.

 

 

Le Cri de Paris n° 2057, vendredi 28 aout 1936. source : Bibliothèque historique de la ville de Paris (cl. de l'auteur)

 

     Contexte :  en Espagne, le soulèvement militaire du 18 juillet 1936 contre le gouvernement légal du Frente Popular provoque une guerre civile. La République espagnole demande l'aide militaire de la France. Léon Blum, Président du Conseil, accepte et, conformément à l'accord de commerce de 1935 prévoyant la livraison de matériel de guerre français à Madrid, commence à organiser le transfert d'avions, d'armes et de munitions. Immédiatement, il se heurte à de très vives oppositions : celle - attendue - de la droite  [9] ; celle - décevante - de ses alliés radicaux ; celle - discrète mais déterminée - de l'allié britannique. Devant les risques intérieurs (le renversement du gouvernement et l'éclatement du Front Populaire mais aussi les réactions d'une opinion effrayée par le soutien aux rouges espagnols, voire un risque de guerre civile) et extérieurs (l'isolement de la France dans un conflit avec les dictatures), Blum qui songe à démissionner est contraint de renoncer à la poursuite de livraison d'armes. Toutefois la diplomatie française cherche à obtenir "une sorte d'abstention internationale" (selon les mots de Blum) et s'efforce d'élaborer et de négocier un pacte de non-immixion ou de non-intervention. Du 12 au 25 août, les cinq états les plus concernés - Grande-Bretagne, Portugal, Italie, Union Soviétique, Allemagne adhèrent au pacte [10].  

     Jean Routier met en scène "le drame espagnol" comme un opéra, avec un chœur des neutres. Curieusement, la Grande-Bretagne est absente de la scène alors que, stricte partisan de la neutralité, elle a été un acteur des négociations diplomatiques [11]. Curieusement aussi, alors que les dictatures sont représentées par leur leader respectif - Hitler, Staline, Mussolini -, la France l'est par Marianne comme si Blum n'était pas censé, en la circonstance, l'incarner.  

     Ce pacte sauva provisoirement la paix et le gouvernement. Il est parfois qualifié de "comédie juridique" (toujours le vocabulaire théâtral). Dans les faits, il ne fut guère respecté : Mussolini et Hitler considèrent l'Espagne comme un champ d'expériences et aident massivement le général Franco ; l'URSS répond au coup par coup. Dès lors, Blum, dès septembre 1936 pratique une "non intervention relâchée" ; lors de son second gouvernement en mars 1938, il envisage d'intensifier l'aide au gouvernement légal.Mais il était bien tard. Le drame espagnol fut une torture pour Léon Blum.

 

Notes

[1] Réal (Jean), Voronoff, Paris : Stock, 2001, 286 p., cahier central de 16 pl.  Sur Voronoff, j'ai aussi consulté :
-  F. Augier, E. Salf, J.-B. Nottet, Le docteur Samuel Serge Voronoff (1866-1951) ou "la quête de l'éternelle jeunesse", Histoire des Sciences médicales, XXX-2, 1996, p. 163-171.
URL : http://www.biusante.parisdescartes.fr/sfhm/hsm/HSMx1996x030x002/HSMx1996x030x002x0163.pdf 
Guirimand (Nicolas), « De la réparation des « gueules cassées » à la « sculpture du visage ». La naissance de la chirurgie esthétique en France pendant l'entre-deux-guerres », Actes de la recherche en sciences sociales, 2005/1 (n° 156-157), p. 72-87. URL : https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2005-1-page-72.htm
Je remercie Nicolas Guirimand, maître de conférences à l'Université de Rouen, pour les informations qu'il m'a communiquées.

[2] Douglas (Roy), The Great War 1914-1918. The cartoonists' vision. Londres, New-York : Routledge, 1995,vii-157 p. [c.-r.  dans Histoire sociale/Social history, vol 30, n° 60, 1997, p. 470-71 par Jeff Keschen, U. of Ottawa (http://hssh.journals.yorku.ca/index.php/hssh/article/view/4713/3907)]

[3] Charlier (Marie-Astrid), Le Canard dans la mêlée, dans : Chabrier (Amélie), Charlier (Marie-Astrid) dir., Coups de griffe, prises de bec. La satire dans la presse des années trente, Bruxelles : Les Impressions nouvelles, 2018, p. 139-151. On en trouvera des extraits ici :
https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/33/files/2018/11/GriffeEXTRAIT.pdf

[4] Georges Bernanos : [exposition], Paris, Bibliothèque nationale, [28 septembre-5 novembre] 1978 / [catalogue par Florence Callu, Noëlle Giret, Marie-Hélène Tesnière] ; [avec la collaboration de René Rancœur] ; [préface de Georges Le Rider]. Paris : Bibliothèque nationale, 1978, XI-193 p. : ill.,

[5] Vilar (Pierre), Histoire de l'Espagne, Paris : PUF, 8e ed., 1971, p. 89, 102. Sur la violence, références et analyses plus récentes dans les travaux de François Godicheau (Université de Toulouse) :
Godicheau François, « Les violences de la guerre d’Espagne », Revue d’Histoire de la Shoah, 2008/2 (N° 189), p. 413-430. DOI : 10.3917/rhsho.189.0413. URL : https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah-2008-2-page-413.htm
Id., "Guerre d'Espagne : la fin des légendes", L'Histoire, 427, septembre 2016 ;  https://www.lhistoire.fr/guerre-despagne%C2%A0-la-fin-des-l%C3%A9gendes
Id. , « La guerre civile espagnole, enjeux historiographiques et patrimoine politique », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, 2015/3 (N° 127), p. 59-75. DOI : 10.3917/ving.127.0059. URL : https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2015-3-page-59.htm
 
[6] Voir les articles d’Henri de Kérillis dans L’Écho de Paris. "Le Front Populaire est à l’œuvre à nos portes ..." : anarchie ; désordres sanglants ; liberté restreinte (...). "L'Espagne est actuellement notre cobaye. La tragédie qui se déroule de l'autre côté des Pyrénées se reproduira trait pour trait dans notre pays si le "Front Populaire" conquiert le pouvoir le 26 avril et le 3 mai." (5 avril). "C'est au lendemain des élections que l'ordre peut être mis en péril" : (...) "De la victoire électorale rouge à la dictature révolutionnaire du pavé, il n'y a qu'un pas." (17 avril). "Le terrible exemple espagnol" : "...le sang coule à flots. L'impunité la plus absolue est assurée aux assassins." (19 avril), etc.

[7] Le Figaro dénonce le désordre (9 avril), la bolchevisation de l'Espagne (12 avril), les méfaits du Frente Popular (18 avril), les journées rouges de Madrid (23 avril).

[8] Gringoire publie un long reportage "L'Espagne à feu et à sang" (sur 5 numéros entre le 10 avril et le 8 mai). 

[9] Voir  par ex. un texte violent de François Mauriac (Le Figaro, 25 juillet 1936).

[10] Pour nuancer cette présentation schématique, lire la narration détaillée des journées allant du 18 juillet à la décision du 7 août, l'analyse de cette politique et de sa justification et enfin la conversion de Blum à l'interventionnisme dans : Lacouture (Jean), Léon Blum, Paris : éditions du Seuil, 1977, 595 p. [p. 341-396]

[11] Jean Lacouture cite ce propos attribué à Baldwin ou à Chamberlain : " Nous autres Anglais, nous haïssons le fascisme. Mais nous haïssons tout autant le bolchevisme. Si donc il est un pays où fascistes et bolchevistes s'entre-tuent, c'est grand bien pour l'humanité." (p. 355).