lundi 19 décembre 2022

 Faits divers de 1922

Deux faits divers de la fin de l'année 1922 (des faits d'hiver) ont été exploités par Jean Routier.

1- Quand les poêles explosaient.

 
Jean Routier - Le Journal,  1922-12-08 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

     Un dessin publié dans Le Journal du 8 décembre 1922 met en scène un personnage hilare, en queue-de-pie, désignant d'une main le poêle de son salon tout en s'adressant à des personnes en habit et à l'air inquiet massé derrière une porte vitrée. Sur la table, des tasses à café, des verres à liqueur, des bouteilles, une boîte à cigares attendent manifestement des invités. C'est ce que confirme la légende accompagnée d'une phrase énigmatique pour le lecteur de 2022 : "Soyez sans crainte ... Il n'est pas chargé !".

     Sa compréhension, un siècle plus tard, nécessite de dépouiller la presse de l'année 1922. A partir de la fin octobre, des articles relatent une série d'explosions de poêles à feu continu, de fourneaux, voire de chaudières de chauffage central. En novembre, le parquet de La Seine désigne un juge d'instruction pour diriger une enquête sur ce phénomène manifestement lié au charbon utilisé. On désigne des experts (M. Kling, directeur du laboratoire municipal). D'où vient l'anthracite qui explose ? Très vite, on met en cause celui du Pays de Galles. Les charbonniers se défendent et suspectent l'anthracite ... allemand - que la Ruhr livre à contrecœur - en laissant entendre qu'il serait piégé par les "boches" [1]. Les cas d'explosion se multiplient qui provoquent des dégâts matériels essentiellement à Paris et en banlieue mais aussi en Province : Bordeaux, Lyon, Rouen, Dieppe, Avignon, Saint-Nazaire, Sillé-le-Guillaume (Sarthe), etc. [2]. Des usagers scrutant leur tas de charbon signalent la présence de cartouches, de détonateurs et même d'une grenade.

     Le phénomène est suffisamment répandu pour que les humoristes s'en saisissent. Routier, comme à son habitude, joue sur les mots, ici le verbe "charger" au sens de "mettre dans un dispositif ce qui est nécessaire à son fonctionnement". On peut charger un poêle, une batterie, un stylo, ou une pipe, mais aussi une arme. Je joins en annexe une sélection de dessins d'autres humoristes sur le même thème dont un de Jean-Jacques Roussau (1886-1948) qui joue aussi sur les mots ("des boulets").

     La solution de ces explosions est fournie en octobre 1923. Le rapport des experts remis au juge d'instruction exclut un vice de fabrication des appareils et aussi tout acte de malveillance (charbon piégé ou munitions oubliées). L'hypothèse avancée est la présence dans le charbon "d'explosif de sécurité" utilisé dans les mines anglaises "du type gélatinisé à base de nitroglycérine, de coton poudre et de borax" ; "ces fragments gélatineux, recouverts de poussière de charbon, prennent l'aspect d'un morceau d'anthracite et échappent au triage." [3]. Toutefois, le rapport n'excluait pas totalement l'hypothèse de "propriétés explosives spontanées de certains fragments d'anthracite anglais" [3]. Quelles recommandations ? C'est aux marchands de charbon de vérifier leurs stocks pour y déceler des explosifs oubliés ; l'autre solution était de préférer l'anthracite belge ou le coke. Pour sa part, le juge signa une ordonnance de non-lieu [4].

2- Quand sévissaient les piqueurs

 

Jean Routier - Le Journal,  1922-12-30 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


     La scène se passe d'une longue description : A Paris, des badauds amusés, une dame outrée mettant la main sur sa fesse et un agent bonhomme. La légende aidant, on comprend que la dame se plaint d'avoir  été victime d'un piqueur. L'agent lui propose : "Allons chez le pharmacien, il vous calmera ... avec une piqûre."

     Le fait que le phénomène sévit en France en 2022 donne encore plus d'intérêt à ces témoignages vieux d'un siècle. Je me contente de reproduire un article y ayant trait.

Le Journal,  1922-12-16 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Notes

[1] Le Journal, 22 novembre 1922. Le Journal du 4 décembre 1922 rectifie une erreur quant à la mine de Creutzwald, qualifiée d'allemande dans son article de novembre alors qu’elle était française (Moselle).

[2] Les journaux détaillent presque quotidiennement les accidents survenant chez des particuliers mais aussi dans des institutions (le calorifère de la Cour des Comptes, rue Cambon). Voir par exemple, Le Journal des 21, 24, 25, 26 novembre, 1, 2, 4, 12, 17 décembre.

[3] Excelsior, 22 octobre 1923 : "Pourquoi l'hiver dernier les poêles explosèrent". Dès décembre 1922, ce journal avait publié sur une colonne entière, en première page, l'opinion du laboratoire municipal sur la cause des explosions de charbon (10 décembre 1922). De son côté, L'Usine (organe de l'industrie des Ardennes et du Nord-Est) du 23 décembre 1922, p. 7, avait consacré une pleine page à démontrer que "les accidents ne sont pas dus aux appareils".

Annexe

Petite sélection de dessins de comparaison, tous datés de décembre 1922.

- sur les explosions 

 

Jean-Jacques Roussau (1886-1948) - Comoedia,  1922-12-18 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Albert Guillaume (1873-1942) - Le Journal,  1922-12-18 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Clem (actif 1922-1947) - L'Oeuvre,  1922-12-25 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

- sur les piqûres


Georges Hautot (1887-1963) - L'Oeuvre,  1922-12-13 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Georges Pavis (1886-1951) - Le Journal,  1922-12-16 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

- A la fois sur les piqûres et les explosions


Marcel Arnac (1886-1931) - Le Journal,  1922-12-01 - gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


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